Vers un nouveau rythme scolaire ?

Mots-clés :  Chronobiologie

date: 
07/10/2010 - 12:18
Caroline Genet Médecin scolaire

Médecin de l’Education nationale en Gironde, Caroline Genet, 48 ans, est chargée d’enseignement au Centre académique de formation de Bordeaux et à l’Université Bordeaux II. Praticien associé aux urgences pédiatriques de l’hôpital des Enfants de Bordeaux, elle est aussi chargée de communication de l’Association française pour la santé scolaire et universitaire (AFPSSU).

L’aménagement du temps scolaire en France n’est pas en cohérence avec les rythmes chronobiologiques de l'enfant : il y a trop de notions à acquérir, sur des journées de classe trop longues et trop peu nombreuses. Caroline Genet fait le point sur "cette exception française", qui fait des petits écoliers français, les plus fatigués d'Europe !

 

Quel est le rythme idéal pour un enfant en âge scolaire ?

La durée de sommeil de l’enfant se réduit avec l’âge, mais il existe une grande variabilité d’un enfant à l’autre. Le plus important, ce n’est pas tant les heures de sommeil, que leur régularité et leur bonne répartition ! Les études sont concordantes pour constater que l'enfant arrive fatigué à l'école (8h30-9h00), quelle que soit la durée de son sommeil la nuit précédente. Puis, sa vigilance va augmenter progressivement dans la matinée, avec un pic vers 10-11h00. Cette même vigilance diminuera en début d'après-midi. Enfin, l’attention et les capacités optimales d’apprentissage ne réapparaîtront que vers 15h-16h00 (réf : 1,2). De façon plutôt inattendue, on s’aperçoit qu’en 70 ans, peu de choses ont changé ! En effet, le docteur C. Launay avait déjà écrit sur le sujet en 1938 ! Dans son article, des pédagogues s’alarmaient « de la surcharge des programmes » et le rapporteur concluait sur « la nécessité d'éliminer des programmes, ce qui ne concourt pas directement dans chaque matière à la formation de l'esprit » (réf. : 3).

 

Que penser de l’exception française qui consiste à avoir le plus d’heures de cours réparties sur un minimum de jours ?

L’aménagement du temps scolaire en France n’est pas en cohérence avec les connaissances de la chronobiologie de l’enfant et cela à tous les niveaux de l’organisation, journée, semaine ou année scolaire. Il y a trop de notions à acquérir lors de journées de classe trop longues et trop peu nombreuses. L’enseignement actuellement dispensé en France aux élèves du primaire est  réparti sur 144 jours de classe par an… Soit entre 864 et 1 033 heures annuelles, selon l’âge des élèves ! Ce classement nous place parmi les pays ayant le nombre d’heures d’enseignement le plus élevé… réparti sur moins de jours de classe (réf. : 4) ! A titre de comparaison, les petits Finlandais ont 608 h, Les Norvégiens 620 h et les Allemands 622 h ! Les périodes difficiles pour l’enfant ? L’automne, car la première période, avant les vacances de la Toussaint est trop longue, (ces vacances trop courtes devraient par ailleurs être étendues à 2 semaines), et l’hiver vers fin février ou début mars (réf. : 5).

 

Et dans le même esprit, que penser de la semaine de 4 jours ?

Un certain nombre d’études ont établi que les performances mnésiques sont meilleures après un week-end de un jour et demi comparé à un week-end de deux jours comme dans la semaine de quatre jours actuelle (6). Un rapport de l’IGEN en 2000 avançait que : "au-delà du seul confort social du samedi libre, le passage à 4 jours n’apporte pas de réelles modifications sur les pratiques de l’enseignant, ni au demeurant, un confort accru à la vie de l’enfant» (réf. : 7). De l’avis des différents spécialistes, la semaine de 4 jours s'accompagne d'une désynchronisation avec une diminution de la vigilance de l'enfant les lundis et mardis. Elle ne semble donc pas représenter une solution à laisser perdurer. Pourtant de nombreux parents apprécient de disposer d’un week-end en famille et remplissent le mercredi de leur enfant avec des activités multiples et variées. Ces loisirs sont importants, lorsqu’ils sont bien dosés, participant au déroulement harmonieux des phases du sommeil et à l'épanouissement physique et psychique des élèves. Mais on doit pouvoir mieux les répartir sur l’ensemble de la semaine.

 

La semaine de 4 jours ne respecte donc pas les rythmes chronobiologiques de l’enfant ?

La fatigue de l’enfant à l’école est aggravée par la non prise en compte de ses rythmes biologiques qui ne sont plus en phase avec l’environnement, aussi bien dans les 24 h (coucher tardif) que dans la semaine avec la coupure du mercredi et du week-end. L’enfant se couche encore plus tard les mardis, vendredis et samedis soirs que les autres jours et se réveille plus tard le lendemain. La prépondérance de cette désynchronisation est importante puisqu’elle a été rapportée dans 60 % des cas des enfants fatigués (réf. : 8). Quant à la longueur des grandes vacances, elle n’a pas en elle-même d’effet délétère (étant bien entendu considérées les importantes disparités rencontrées dans l’occupation de ce temps de vacances selon les ressources des familles) et permet à l’enfant de profiter de sa famille et de vivre des expériences variées et enrichissantes sur le plan personnel. Cela dit, elle a pour corollaire une augmentation de l’intensité et de la durée des journées scolaires afin de « boucler » les programmes.

 

A l’école, la pause méridienne est-elle bien gérée ?

De 11h30 à 14h000, la baisse de la vigilance est incontournable. Selon René Clarisse «D'un point de vue biologique, le sommeil se fait sentir. Il faut instaurer une pause méridienne longue, d'au moins deux heures, pour laisser aux enfants un temps de repos et de récupération » (réf. : 9). Mais comme je le déplore parfois, certaines cantines peuvent être bruyantes et mal adaptées à un environnement serein, lorsque les enfants déjeunent. D’autres se verront bousculés pour terminer rapidement leur repas afin que plusieurs services puissent se succéder...

  

Comment reconnaît-on un enfant fatigué ?

En dehors de toute maladie, l’enfant est souvent fatigué à l’école. Cette fatigue est souvent en rapport avec un excès d’activités, qu’elles soient de loisirs (activités sportives ou artistiques, temps passé devant l’ordinateur…) ou de soutien scolaire divers (cours particulier, surinvestissement des parents dans le contrôle des devoirs) (réf. : 5)… Elle est aussi souvent liée à un manque répété de sommeil auquel viennent se surajouter les désynchronisations du mercredi et des week-ends. L’enfant fatigué pourra présenter, indépendamment de toute autre difficulté associée, des troubles de l’attention, une tendance aux assoupissements, des « sautes d’humeur » inhabituelles, une agitation motrice visant à lutter contre l’endormissement. S’il présente des difficultés scolaires, celles-ci seront aggravées pour les raisons précédentes, l’anxiété s’y associera dans la crainte des mauvais résultats, des appréciations péjoratives et des punitions qui en découleront (réf. : 2).L’absence de sollicitations individuelles, l’enseignement étant plus collectif qu’individualisé en France, risque de le laisser alterner entre des phases de déconnexion et de « réveils » inquiets.  A son tour, cette anxiété rendant l’enfant moins disponible et vigilant,  engendrera des difficultés d’apprentissage et une chute des résultats scolaires. Il est dans ce cas fondamental que les adultes en charge de l’enfant en difficulté (parents, enseignants, médecin) se concertent afin, (entre autres mesures), de neutraliser les facteurs néfastes en améliorant la qualité de vie des enfants concernés à l’école comme à la maison.

 

Quel est le rythme idéal selon vous ?

Idéal, je ne connais pas. Tout est question de compromis entre l'intérêt de l'élève (son équilibre entre sa vie et ses activités en dehors de l’établissement) et les besoins des adultes.  Pour l’instant, l’intensité des programmes actuels semble aller à l’encontre d’une diminution du temps consacré aux apprentissages dans la journée. Selon l’Inserm, « De l'avis unanime, il est impossible d'enseigner les programmes actuels avec un horaire inférieur à celui actuellement existant. On en arrive donc toujours à la même formule : il faut, de toute nécessité, pour diminuer les heures de travail, réduire les programmes…(réf. : 10)»  Concernant la libération du temps pour les loisirs, elle sera profitable à l'enfant si son milieu culturel environnant le permet. S’il doit se retrouver à errer sans but, à ingérer seul des programmes Tv assaisonnés de friandises ou augmenter son temps de jeux vidéo, les bénéfices ne devraient pas être ceux attendus. On pourrait se prendre à imaginer l’Éducation nationale aidée des structures locales et associatives, prendre le relais en offrant des créneaux sportifs et culturels accessibles à tous.

 

 

 

Bibliographie   Les propos rapportés ci-dessus sont ceux de chercheurs qualifiés : chronobiologistes, pédiatres, pédagogues ou spécialistes de l’Éducation nationale s’appuyant sur des études scientifiques concordantes.   1 - TESTU F. - Rythmes de vie et rythmes scolaires. Aspects chronobiologiques et chronopsychologiques. Masson ed., 2008. 2 - MONTAGNER H. — L’enfant : la vraie question de l’école. O. Jacob ed., 2002. 3 - LAUNAY C. - Surmenage scolaire, fatigue à l'âge scolaire : Aspect médical, social et administratif de la question. Revue de la santé scolaire, 1938 4 - OCDE – PISA 2000-2006. — Technical report, www.ocde.org  5 - TOUITOU Y. BEGUE P. - Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant. Bull. Acad. Natle Méd, 2010, Tome 194,  No 1, 107-122 6 - SUCHAUT B. - La gestion du temps à l’école primaire : diversité des pratiques et effets sur les acquisitions des élèves. Année de la Recherche en Éducation, 1996, pp 123-153. 7 - IGEN – Organisation du temps scolaire dans le premier degré : les effets de la semaine de quatre jours. Rapport, 2002 8- BOURILLON A. - L’enfant fatigué et l’école. Rev. Prat., 2008, 58, 731-740 9 - CLARISSE R., TESTU F., MAINTIER C., ALAPHILIPPE D., LE FLOC’H N., JANVIER B. - Etude comparative des durées et des horaires du sommeil nocturne          d’enfants de cinq à dix ans selon leur âge et leur environnement socio-économique. Arch. Pediat., 2007, 11, 85-92.

10 - INSERM - Rythmes de l’enfant : de l’horloge biologique aux rythmes scolaires. Expertise collective, INSERM ed., 2001.

 

avec le soutien de :