La douleur de l’enfant doit être reconnue

date: 
10/09/2010 - 17:53
Dr Daniel Annequin Responsable d'une unité anti douleur

Responsable de l’unité Douleur à l’hôpital des enfants Armand-Trousseau (Paris), le docteur Daniel Annequin est aussi membre de l'association Pediadol, qui réunit médecins et infirmières autour de la prise en charge de la douleur chez l'enfant. 

 

Un enfant souffre-t-il autant qu'un adulte ? Voilà une question qui a longtemps fait débat au sein de la communauté scientifique ! Aujourd'hui, s'il est admis que les enfants, voire les nourrissons, ressentaient autant - sinon plus - la douleur que leur aînés, force est de constater que leur souffrance n'est pas toujours bien prise en charge. Le point de vue du professeur Daniel Annequin.

 

 

Pourquoi cette prise en charge tardive de la douleur chez l’enfant ?

Dr Daniel Annequin : Il y a 20 ans, la négation de la douleur s’est appuyée sur l'idée dominante, au sein du corps médical, que le jeune enfant était incapable de percevoir la douleur. On a longtemps voulu croire  que « les cris lors d’un épisode douloureux témoignaient uniquement de phénomènes réflexes ». Les arguments avancés s’appuyaient notamment sur l’immaturité du système nerveux du nouveau-né. Loin d’être protégé, le nouveau-né apparaît au contraire hypersensible à la douleur. Par ailleurs, il a été prouvé que des expériences douloureuses répétées peuvent laisser des traces durables chez l’enfant, comme s’il existait une forme de « mémoire de la douleur ».

 

La douleur infligée aux enfants avait des vertus pédagogiques…

Dr D.A. : Longtemps, la représentation positive « judéo chrétienne » vis-à-vis de la douleur voulait que l’enfant grandisse et « forge son  caractère » grâce aux épreuves douloureuses. N’oublions pas qu’à ‘échelle de la planète, les « châtiments » infligés aux enfants demeurent la méthode pédagogique la plus répandue. Par contre,  il existe des douleurs « utiles » : les  maux du quotidien (bosses, coups, petites brûlures...) lui permettent d’intégrer les limites de son corps et de son environnement. En revanche, les douleurs de la maladie, celles provoquées par une opération ou une ponction lombaire n'ont jamais été maturantes !

   

Qu’en est-il des traitements ?

Dr D.A. : Pendant longtemps, les médecins ont été confrontés à une pénurie de médicaments adaptés et à une législation inexistante. Les récentes recommandations de bonnes pratiques élaborées par AFSSAPS «  Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant » montrent bien que nous disposons d’un grand choix.

Ces recommandations insistent particulièrement sur plusieurs points :

- La douleur provoquée (soins, actes, chirurgie, explorations…) est fréquente chez l’enfant et doit donner lieu à une prise en charge efficace. Faute de couverture antalgique efficace, l’enfant est immobilisé de force, ce qui peut créer chez certains, un traumatisme psychique et générer des comportements phobiques, avec pour conséquence, retards et difficultés pour accéder aux soins.

- Avant l’âge de 4 mois, l’utilisation systématique des solutions sucrées (1 à 2 ml de glucosé 30 %) associée à la succion est recommandée pour diminuer la douleur des piqûres.  

- L’application d’une crème anesthésiante pendant au moins 60 minutes est recommandée pour les effractions cutanées (prélèvement sanguin, ponction lombaire…)  

- Le Mélange oxygène - protoxyde d’azote (MEOPA) est le produit de référence pour les actes et les soins douloureux chez l’enfant car il possède une rapidité et réversibilité d’action sans pareil avec un excellent profil « bénéfice/risque » ; ses effets antalgiques et anxiolytiques se renforcent mutuellement. Toutefois, son efficacité ne permet pas de couvrir tous les actes et soins douloureux. De plus, ce produit est essentiellement disponible à l’hôpital ou auprés d’équipe ayant reçu une formation adaptée.  

Lorsque le MEOPA est inefficace, la kétamine (médicament utilisé en anesthésie à forte dose)administrée en intraveineux à faible dose (0,5 mg/kg sans dépasser 2 mg/kg) apparaît le seul médicament utilisable en toute sécurité par un médecin hospitalier non anesthésiste mais possédant des compétences spécifiques nécessaires pour faire face aux rares effets secondaires.

- Pour les médicaments, le passage à un antalgique de niveau supérieur 1, 2 ,3 (selon les paliers de l'OMS) n'est pas systématique: certaines douleurs chroniques non cancéreuses ne justifient pas l'accès au niveau 3 alors qu'une douleur aiguë nécessite dans certains cas (traumatologie) le choix d'emblée du niveau 3. Le paracétamol mal absorbé par voie rectale doit être évité au profit de la voie orale.

- Pour l’amygdalectomie, la morphine doit être utilisée en salle de réveil. Au domicile, paracétamol et opioïdes faibles doivent être donnés systématiquement pendant plusieurs jours.

- La Migraine est très fréquente chez l’enfant (5 à 10 % des enfants présentent d’authentiques crises migraineuses). Le traitement de la crise doit être donné précocement. L’ibuprofène 10 mg/kg est recommandé car son efficacité est supérieure a celle du paracétamol 15 mg/kg. En cas de vomissements, le diclofenac rectal ou le sumatriptan nasal (à partir de 12 ans) doivent être utilisés. On ne doit pas donner d’opioïdes (faibles et forts) en traitement de crise. En traitement de fond, aucun médicament ne peut être recommandé en revanche l’apprentissage des méthodes psycho corporelles (relaxation, auto-hypnose…) peut être recommandé…

L'importance des moyens non médicamenteux a été largement soulignée : ils peuvent contribuer à soulager l'enfant car l'anxiété majore sa douleur: information, préparation de l'enfant et de sa famille, détournement de l'attention, distraction... En outre, la qualité relationnelle entre patients et soignants contribue au succès des stratégies antalgiques. Enfin, une réflexion sur l'organisation des soins est fondamentale pour obtenir un contrôle optimal de la douleur: réduire la fréquence de certains examens systématiques ou de certaines pratiques (diminution des bilans sanguins ou des adhésifs par exemple), utiliser des moyens alternatifs non invasifs, anticiper la mise en place de protocoles. Les traitements non pharmacologiques sont souvent complémentaires et parfois être plus efficaces que les stratégies médicamenteuses.

avec le soutien de :